L’incidence professionnelle désigne les séquelles causées par un dommage corporel qui limitent les perspectives professionnelles d’une victime ou rendent son travail antérieur plus fatigant ou difficile. Longtemps négligée ou confondue avec d’autres préjudices, son autonomie en tant que poste de préjudice a été clairement reconnue récemment par la jurisprudence (Cass. 2e civ., 21 mai 2015, n°14-18.522).
D’après la nomenclature Dintilhac, l’incidence professionnelle « n’indemnise pas la perte de revenus directement liée à l’invalidité permanente, mais couvre les conséquences annexes sur le plan professionnel », telles que la dévalorisation sur le marché du travail, la perte d’opportunités professionnelles, ou l’augmentation de la pénibilité du poste occupé. Elle comprend également les coûts de reclassement, de formation, et les impacts sur la retraite.
La complexité de ce poste réside dans la variété des situations que les victimes peuvent rencontrer sur le plan professionnel. Ainsi, la jurisprudence a progressivement affiné les contours de l’incidence professionnelle, la distinguant d’autres formes de préjudices économiques.
Cumul entre incidence professionnelle et perte de gains professionnels futurs
La Cour de cassation a établi une distinction nette entre l’incidence professionnelle et la perte de gains professionnels futurs, rendant possible leur cumul. Elle précise que l’incidence professionnelle permet d’indemniser des aspects comme la dévalorisation sur le marché du travail et la pénibilité des tâches, en complément de la perte de revenus futurs (Civ. 2e, 6 février 2020, n°19-12.779).
En outre, la Cour rappelle que l’incidence professionnelle couvre la précarisation de la situation de la victime, notamment lorsque celle-ci doit abandonner son emploi ou changer de profession à la suite de son handicap (Civ. 2e, 18 avril 2019, n°18-15.08). Cette position a été réaffirmée dans un arrêt ultérieur, où la Cour a jugé que l’incidence professionnelle peut indemniser la perte de carrière, en plus de la perte de gains futurs (Civ. 2e, 23 mai 2019, n°18-17.560).
La Haute juridiction estime que les pertes de gains professionnels futurs sont calculées sur la base du dernier revenu avant l’accident, sans tenir compte des augmentations salariales liées à l’ancienneté ou à la promotion. Même lorsque la victime perçoit une rente viagère, celle-ci ne reflète pas l’évolution professionnelle dont elle aurait pu bénéficier.
En cas de reconversion, la Cour a confirmé que l’incidence professionnelle reste compatible avec l’indemnisation des pertes de gains futurs (Cass. crim., 1er juin 2021, n°19-86.319). De plus, l’incidence peut inclure l’impossibilité de suivre une formation ou de retrouver une activité professionnelle (Cass. 2e civ., 16 déc. 2021, n°20-14.553). Cette composante inclut également la perte d’identité sociale lorsque la victime ne peut reprendre son travail, reconnue par la Cour de cassation comme un élément de la « dévalorisation sociale » (Cass. 2e civ., 6 mai 2021, n°19-23.173).
Une indemnisation in abstracto, mais non forfaitaire
La Cour de cassation a fermement rejeté les évaluations forfaitaires de l’incidence professionnelle, se basant sur le principe de la réparation intégrale (Civ. 2e, 13 juin 2019, n°18-17571 ; Civ. 2e, 20 mai 2020, n°19-13.222). Cette approche renforce l’idée d’une évaluation concrète et personnalisée de l’incidence, qui ne peut être appréhendée de manière standardisée.
L’indemnisation doit correspondre à la situation spécifique de chaque victime, ce qui explique la disparité des montants alloués par les juridictions. Pour ce faire, les juges adoptent une méthodologie qui calcule l’incidence en fonction d’un pourcentage du salaire, appliqué au coefficient d’incidence professionnelle subi par la victime.
Cette approche individualisée prend encore plus d’importance dans le contexte de crise sanitaire, qui a mis en lumière l’importance du travail dans la valorisation personnelle et sociale. Ainsi, la notion d’« anomalie sociale », liée à l’inaptitude à l’emploi, prend tout son sens dans la jurisprudence actuelle (Crim, 28 mai 2019, n°18-81.035).
Conclusion
L’incidence professionnelle, longtemps sous-estimée, a progressivement gagné en reconnaissance dans la jurisprudence. Son indemnisation, distincte de celle des pertes de gains futurs, permet de réparer les conséquences professionnelles indirectes d’un dommage corporel, en tenant compte de la dévalorisation sur le marché de l’emploi, de la pénibilité accrue du travail, et des impacts psychologiques et sociaux sur la victime. La volonté de la Cour de cassation d’individualiser cette indemnisation garantit une réparation plus juste et adaptée à chaque situation.